L’ère des contrats : les ONG et l’insoutenable marchandisation de la solidarité

Sérgio Baierle: [excerpt]

Nous pouvons identifier ce processus comme une extension de la marchandisation des rapports sociaux au domaine de la « solidarité ». À l’encontre de cette tendance, on ne trouve guère qu’une certaine nostalgie du fordisme, le rêve d’un retour à l’État comme garant du plein emploi et des droits sociaux. Rêve impossible dans la mesure où la marchandisation généralisée entraînée par le néolibéralisme n’est rien d’autre que la conséquence finale du fordisme lui- même : en fin de compte, le passage de l’endettement public à la financiarisation transnationale généralisée n’est-elle pas simplement une question d’échelle? Du point de vue d’une évaluation critique « forte » de la modernité telle que la propose Anselm Jappe5, l’État-Nation, la démocratie libérale et la société civile sont partie intégrante du développement capitaliste. Cependant, les processus sociaux ne se développent pas au sein d’un vide historique, mais s’incarnent dans des sociétés concrètes, ce qui implique qu’aucune alternative ne peut émerger sans s’inscrire dans une réalité contingente. Une critique qui ne s’incarne pas dans une alternative concrète en termes d’action sera incapable d’engendrer un nouveau sens commun, qu’il soit révolutionnaire ou conservateur. La grande question, par conséquent, consiste à savoir comment affronter la crise du sujet au sein des processus de changement social. La réduction de la classe ouvrière à une petite élite de détenteurs d’emplois formels et la subordination de la production à des systèmes complexes à forte densité technologique réduisent le travail effectivement créateur de valeur à un petit segment hautement qualifié de la population, parfaitement intégrable au système et fort bien rémunéré. Autrement dit, nous vivons dans un contexte où, d’une part, le capitalisme ne peut plus admettre d’espaces sociaux qui échappent à la voracité de sa crise de valorisation et où, d’autre part, les acteurs qui traditionnellement, avaient été capables de faire diminuer le taux d’exploitation capitaliste disparaissent de la scène. C’est autant d’espace libéré pour les techniciens des ONG. Même quand se manifestent des processus de mobilisation sociale intense, comme on a pu le voir au Venezuela, en Bolivie ou au Brésil dans le cas des paysans sans terre, on constate que le résultat final s’exprime plus à travers une prolifération de QUANGO que sous la forme d’une classique lutte de classes. L’ennemi n’est plus identifié sur le terrain immédiat de l’appropriation économique et la cible essentielle sont les élites politiques conservatrices. Même quand les mobilisations mentionnent les grands propriétaires et les groupes financiers, c’est des relations avec l’État qu’elles espèrent voir surgir les opportunités.

Mouvements no 47-48, 2006 (La Découverte)

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